Le jeu d'adam
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Adam part, Adam ne part pas. Il nous démonte avec soin sa femme moche, et puis sa méchante ville d’Arras, faisant pari de monter à Paris. Un médecin-magicien veut guérir toute la ville de sa folie, un moine s’efforce de dealer ses reliques, un fou vient crier au fou, et au feu, trois fées débarquent à four et sortent à moulin, les spectateurs viennent sur la scène tenir leur propre rôles … Et que tourne la roue de forte-thune ! Puisque le monde marche sur la tête, il faudra pour le voir dans le bon sens que la pensée se renverse.
Charivari joyeux et grinçant, écrit dans une langue rigoureuse et farcie de calembours, la pièce a été créée le 3 juin 1276. Elle est à la fois fondatrice du théâtre et scandaleusement ignorée, elle est aujourd’hui recréée au Français, pétante de jeunesse et de liberté.
- présentation par Jacques Rebotier
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Adam part, Adam ne part pas. Il nous démonte avec soin sa femme moche, et puis sa méchante ville d’Arras, faisant pari de monter à Paris. Un médecin-magicien veut guérir toute la ville de sa folie, un moine s’applique à dealer ses reliques, un débarqué de fou vient crier au fou, et au feu, trois fées débarquent à four et sortent à moulin, une certaine Aye se met à chanter en sa tour, les spectateurs viennent sur la scène tenir leur propre rôle… Et que tourne la roue de forte-thune ! Et que la pensée se renverse…
Charivari joyeux et grinçant, écrit dans une langue rigoureuse et farcie de calembours, pétante de jeunesse et de liberté, la pièce a été créée le 3 juin 1276 ; elle est à la fois fondatrice du théâtre et scandaleusement ignorée, elle est aujourd’hui recréée au Français.
Li jus Adan, pièce première du théâtre européen, première aussi de liberté : liberté de narration, libre-penseuse ; en amont de la distinction comédie/tragédie, dégagée de la religion.
Danse des langues.
Ici, sous le français de la traduction en octosyllabes, affleureront parfois les strates du picard ancien ou du français parlé d’aujourd’hui.
Restituer ? Reconstituer ? Ou resituer ? Comment rendre par exemple l’extraordinaire charge accusatoire du Jeu d’Adam contre les puissants de l’époque ? Où sont les pouvoirs d’aujourd’hui ?
Transposer ?
Au micro : les inserts 2003.
Zapper, rapper, déraper.
Autres inserts, mais d’époque, disons des tropes, comme aux marges du manuscrit : une devinaille érotique, l’esquisse d’un « jeu-parti », un poème fatrasique, un congé…
Adan et son double inversé le fou (le « dervé »), leurs deux pères, un moine et un médecin (deux pouvoirs qui en imposent) … Pour le jeu des miroirs : des acteurs à transformation, et leurs costumes.
Trois compagnons d’Adan (Riquier, Guillot, Hane), trois fées (Morgane, Arsile, Magloire) et leurs trois vœux, trois lieux (la place d’une ville, la forêt, une taverne), trois temps du jour (le crépuscule, une nuit, le petit matin).
En scène Adan, metteur en scène.
Ici aussi : un acteur-acrobate, une acrobate-acteur, un musicien-comédien.
Du théâtre dans le théâtre, et même du théâtre dans le théâtre dans le théâtre : des citadines arrageoises qui viennent tenir le rôle de fées, et qui s’assoient pour regarder la suite. Où est la scène, où est la salle ?
Plus fort encore : le théâtre est la ville, la ville est le théâtre ; les habitants de la ville sont les acteurs eux-mêmes, qui sont les spectateurs, qui sont le sujet de la pièce et l’objet de la critique, acide jeté soudain en leur (en notre) pleine face.
Les personnages vrais meneurs du jeu : ceux que l’on ne voit jamais ? Marie, le roi Hellequin, Fortune : la Femme, contre-idéalisée ; un petit dieu païen, cavalcades et pacotille ; l’Heur aléatoire et circulant du pouvoir et de la mort.
Puisque le monde va sens dessus dessous, il faudra bien marcher sur la tête ! Et se donner une petite chance de le voir dans le bon sens. (Pour ne pas dire du bon côté…)
Une anti-narration, presque. Des gens qui passent, le temps qui parle à l’oreille, bribes de conversation, le cerveau même d’Adan livré sur scène. Danse de presque rien. Nada.
Adan auteur, pensée en direct, écriture live.
Jacques Rebotier pour la bible du spectacle
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le livre
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> Le Jeu de la Feuillée, Adam de la Halle, édition Le Cri/In'Hut, Bruxelles, 2003
Traduction de Jacques Darras
Postfaces de Jacques Darras et Jacques Rebotier
> La postface de Jacques Rebotier
Li jus Adan est une pièce, de théâtre. La première. Pas la première comédie profane comme on l’a dit, car ce n’est pas une comédie : elle est en amont et au-delà de la distinction comédie/tragédie. Pas profane, au juste, car en aval de la distinction religieux/profane. Y ondoie, en dehors de toute référence, hors cadre, la gamme étendue des conduites humaines : provocation, désir, peur, colère, lâcheté, rêve, désillusion, nostalgie, escarmouches, arnaque, rire, plaisir...
Li jus Adan n’a pas d’objet ; pas de sujet non plus. On peut dire que le sujet en est l’auteur lui-même, et l’objet ses pensées, le cours même de sa pensée ; théâtre réflexif, théâtre de rien, ou presque. Il ne s’y passe à proprement parler rien, sinon le moment qui passe. Pas d’action, pas de personnages non plus ; des gens, plutôt. La place d’une ville, ses faubourgs, un bois, une taverne. Un départ arrêté. Cela joue, le pur jeu de l’invention. La représentation, simple présentation du présent. Posé là sur la scène, cet ordre transparent et chaotique de la vie elle-même. Adan, nada.
Mais la scène du Jus d’Adan est aussi l’endroit d’un monde à l’envers. Annoncer à grandes trompes son départ et rester planter là, cracher au visage de celle que l’on aime – de la haine courtoise, sans doute –, battre son père, que l’on soit clerc ou son double le fou, peindre ses amis en médiocres, ramener le savoir, la religion, l’art et la science à leur degré zéro, qui fait d’un médecin et d’un moine des charlatans, des fées des êtres inconséquents, versatiles, plus terre à terre encore que les humains, et du cercle aimé de poésie un concours de nullité.
Les personnages meneurs du jeu sont peut-être ceux que l’on ne voit jamais : Marie, Hellequin, Fortune... La Femme, contre-idéalisée ; un anti-Dieu petit, cavalcades et pacotille ; l’Heur aléatoire et circulant du pouvoir et de la mort.
Adan dit qu’il part, et il ne part pas. Il dit qu’il quitte sa chère Marie, et il reste. Mais, in fine, son reflet « hors de sens », lui, s’en ira, et pour se marier, montant sa vache de père. Si Adan prend soin de dauber d’abord, et pour de faux sans doute, ceux qu’il aime, à commencer par lui-même, sa propre irrésolution, ensuite sa jeune femme, une claire mocheté, qu’il convient de contre-blasonner en détail, et puis son père, hypocrisie et pingrerie, c’est sans doute pour mieux faire passer la pilule : il peut ensuite se payer pour de vrai les détenteurs du pouvoir, échevins clientélistes et administration corrompue, avec cette prudence deuxième qu’il parle maintenant par la bouche des autres personnages. Mais le plus extraordinaire est ceci. Li jus Adan, ce n’est pas du théâtre dans le théâtre, cette tarte à légère couche de crème, parcours obligé du théâtre moderne par tradition. Beaucoup plus fort : le théâtre est la ville, la ville est le théâtre ; les habitants de la ville sont les acteurs eux-mêmes, qui sont les spectateurs, qui sont le sujet de la pièce et l’objet de la critique, acide jeté soudain en leur pleine face... La seule représentation peut-être que connût jamais le théâtre, et qui d’ailleurs resta unique, un certain 3 juin 1276. Jamais par la suite la scène ne sut retrouver un tel méta-théâtre, et d’aussi douce violence.
Jacques Rebotier
- textes additifs de Jacques Rebotier
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Ces inserts sont sonorisés, distinguant ces "tropes" du texte d'origine.
- dossier, articles & documents
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> Article du Journal de la Comédie-Française pdf
> Partitions de Jacques Rebotier (pdf n°1, pdf n°2, pdf n°3)