BEAUX ARTS MAGAZINE : Zoo muzique, brèves poésies du quotidien
« Zoo Muzique », de Jacques Rebotier, met en œuvre les bruits et les images du quotidien, sa matière première. Un magma poétique à voir et à entendre aux Amandiers, à Nanterre.
Entrer dans une œuvre de Jacques Rebotier, c’est pénétrer un crâne et la polyphonie des pensées. c’est investir un lieu public, la cacophonie de ses bruits et de ses images. Matière mouvante à laquelle le poète donne forme, passant d’une lecture-performance à un concert-spectacle, d’une pièce de théâtre à une installation, comme ce Zoo muzique, comédie animale et humaine où 18 musiciens encagés, diserts ou silencieux, attendent le regard et l’ouïe des spectateurs. « Le spectateur est un voyeur. Un voyeur auditif », lâche Jacques Rebotier, homme modeste qui a une ambition immense : montrer un être qui pense à voix haute. Création récente, les Ouvertures sont, tentait d’attirer les oreilles des spectateurs sur le plateau : dans un cadre obscur, un homme et une femme, deux bouches, disaient l’enfermement des murs et des clôtures, l’ouverture des orifices du corps, la peau poreuse. Dans Zoo muzique, 66 « brèves » - galantes, érotiques, guerrières, rébus, antiques, poétiques, existentielles, philosophiques, doublées par une trompette, un cor des Alpes, des puces électroniques…
Compositeur, écrivain, poète, metteur en scène, Jacques Rebotier capte les flux et reflux de la pensée. Ces strates mouvantes – idées, perceptions, sensations, affects, désirs, souvenirs -, il les traduit par l’entremise du texte, du souffle, du son, du corps, de la lumière. Un grand magma en interférence constante avec le chaos du monde dont il cherche à restituer l’organicité par un travial musical, théâtral, visuel et gestuel. Circulation transdisciplinaire : aux musiciens, il demande une rigueur presque chorégraphique ; aux acteurs, une précision toute musicale, un tempo, un débit de la parole, une hauteur variable de la voix qui décalent le contenu quotidien du discours, créant un effet d’étrange abstraction. Mais de temps à autre, Rebotier s’évade, délaisse les spectacles très élaborés et prend le risque total de la liberté et du présent au long de performances parlées.
Cet artiste, dont le matériau premier est le quotidien – conversations de bistrot, bavardage de la télévision, déclarations d’amour ou dérapage vers la non-communication, codes réglementaires, publicités, enseignes qui clignotent, beauté d’un reflet dans une flaque d’eau… -, réactive le sens et tonifie la conscience. A l’image sonore des mots et des perceptions, il donne des équivalents graphiques, de personnelles partitions de paroles et de musiques. Telle Zoo muzique composée pour 18 instrumentistes récitants au langage corporel rythmiquement réglé. Cette installation, où les spectateurs circulent à leur guise parmi les cages-habitations, est ponctuellement chahutée par une « scène de ménage » pour instruments et chanteuses à l’unisson.
Avec Rebotier, le « zappage » subit des courts-circuits. Ses jeux de mots (« je suis né en - néant) sont des réponses drôles et pugnaces aux maux du je, à ses aberrations solitaires et collectives dans un monde où la non-hiérarchisation de l’information est un problème majeur. Sa prochaine création, R’Ubu, s’interrogera d’ailleurs sur le visage qu’aurait le petit-fils d’Ubu s’il revenait aujourd’hui. Sans doute celui d’un Berlusconi : « La question n’est plus celle de décervelage mais de l’engluement dans la perte de sens. Le pouvoir des médias est tel dans nos pays qu’on n’a plus besoin de censure », déclare ce poète qui, derrière les stridences, sait entendre le silence : « Le silence est rempli de tout ce que l’on désire vraiment ».
Sabrina Weldma
(mars 2003)