Le Bout de la langue de Marie-Hélène POPELARD

Marie-Hélène POPELARD, Maître de conférence en philosophie et en esthétique à l'IUFM de Poitou-Charentes / Université de Poitiers et spécialiste du jeune public signe un article sur la dernière création musicale de Jacques Rebotier : Mon Saumon a de la chance.

 

" L’enfant d’avant « l’âge de raison » prend toujours les mots au pied de la lettre : l’archet est un petit arc, le chevalet un petit cheval, on essuie la mer comme on essuie une tempête, un arbre à cordes, ça se mange. Pour redonner aux mots le visage de l’enfance il faut d’abord être attentif aux quelques dizaines de signes qui distribuent la donne du jeu verbal, travailler à une économie de moyens pour produire un maximum d’effets. C’est la raison pour laquelle Mon saumon a de la chance  peut s’adresser aussi bien à de très jeunes enfants qu’à un large public de spectateurs capables d’une ouverture généreuse et syncrétique comme celle du très jeune enfant face à la structure complexe d’un tel spectacle. Jacques Rebotier est de ceux qui savent selon le vœu de Bachelard « réveiller l’alchimiste sous l’ingénieur ». Sa thèse à l’Ecole des Hautes Etudes sur le langage alchimique l’avait conduit très tôt à prendre la mesure de la broussaille sous le contrôle de nos catégories. Plus proche en cela des « chiffonniers » qui retrouvaient au début du XXe siècle la perception native des choses, un musée imaginaire se déploie sur scène réveillant le goût de l’enfance pour les énigmes d’objets. Les Merzbilder de Schwitters, les « moyens du bord » d’un Bernard Pagès, ou les « objets de moindre rang » d’un Kantor comme les boîtes de conserve rouillées de Jacques Rebotier n’interviennent pas faute de mieux mais par refus des prétentions et de l’arrogance du « Grand art », un refus obstiné de l’emphase ou de la sophistication, une volonté aussi de redonner (comme au saumon) leur chance aux mots et aux choses dont plus personne ne sait voir la puissance d’évocation, et de reconduire toute œuvre d’art en ce point précaire où elle commence à peine à émerger de l’objet.  "  < Lire la suite >